Anne-Laure Méry (Paris, France)
L’extradition, mesure d’entraide judiciaire internationale, constitue un réel acte de collaboration entre Etats, dont les sources de droit sont multiples, de niveau national et supranational. En parallèle des traités bilatéraux d’extradition, une place particulière revient à la Convention européenne d’extradition, signée le 13 décembre 1957, ratifiée par quarante-quatre Etats dont la France en février 1986.
En tout état de cause, quel que soit le niveau de norme, le droit international, le droit européen et le droit interne proclament tous un principe général de non extradition des nationaux. Ce principe est le pilier fondamental du droit de l’extradition et peut être notamment invoqué par application du principe de non bis in idem interdisant la condamnation d’une même personne pour les mêmes faits.
A cet égard, trois situations différentes peuvent avoir lieu : la personne réclamée a déjà été jugée définitivement (i) par l’État requis, (ii) par l’État requérant, (iii) par un État tiers.
Dans ce dernier cas, les textes sont muets et il est nécessaire de se reporter à la jurisprudence, européenne et nationale.
C’est dans ce cadre que s’insère l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Francfort, le 19 mai 2020 dernier, concernant une ressortissante italienne, détenue en Allemagne, faisant l’objet d’une demande d’extradition par les Etats-Unis pour des infractions de commercialisation de contrefaçon pour lesquelles elle avait déjà été jugée définitivement par une juridiction milanaise.
Les juges allemands ont considéré que la demande d’extradition était irrecevable du fait de la condamnation définitive de la prévenue par les juridictions italiennes, alors que l’Italie était étrangère, et donc tiers, à la demande d’extradition.
Avant d’analyser le raisonnement des juges allemands dans l’arrêt de la Cour d’appel de Francfort et l’apport de cet arrêt en matière d’extradition (2) il est indispensable de rappeler le principe cardinal de non extradition des nationaux (1).
1. Le principe général international de non extradition des nationaux
Seuls les nationaux ont un droit « général et absolu » à entrer, séjourner et demeurer en France. Ledroit international reconnaît en effet à chacun « le droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant »[1] et de ne pas « être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l’État dont il est le ressortissant »[2].
Dans ce contexte de protection, l’une des limites infrangibles à l’extradition tient au principe fondamental du droit international de non extradition des nationaux.
Ce principe impose à la France de ne remettre, au pays les réclamant, que les étrangers se trouvant sur son territoire et répond à la pensée ancrée selon laquelle les ressortissants d’un pays doivent être protégés au sein du territoire national.
Au niveau européen, la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 reconnait implicitement à travers son article 6-1-a que les Etats puissent avoir la « faculté de refuser l’extradition de ses ressortissants ».
En droit français interne, ce principe se retrouve à l’article 696-4 du Code procédure pénale et a été fermement établi dans la jurisprudence de la Cour de cassation avec, notamment, l’arrêt du 17 juin 2003. La Haute juridiction a confirmé que « selon l’article 6 des réserves et déclarations émises par le Gouvernement français à la convention précitée, l’extradition est refusée lorsque la personne réclamée avait la nationalité française au moment des faits » et que l’extradition d’un national est interdite même s’il donne son consentement (Cass. Crim., 17 juin 2003, n°03-81.684).
2. L’application du principe non bis in idem en matière d’extradition
Le principe non bis in idem veut qu’une personne ne puisse pas être poursuivie, jugée ou punie deux fois pour les mêmes faits.
Lorsque l’individu réclamé a été jugé dans l’Etat requis, celui-ci ne peut réclamer l’extradition en vue de son jugement pour les mêmes faits par les juridictions de l’Etat requérant[3]. Le droit positif et la jurisprudence sont clairs sur ce point.
En revanche, la solution n’est pas aussi claire lorsque la chose a été jugée dans l’Etat requérant[4] ou dans un Etat tiers, hypothèses pour lesquelles tant les textes français que les textes internationaux restent muets.
La troisième hypothèse est la plus délicate et c’est celle qui intéresse l’arrêt commenté.
Lorsque des faits ont été jugés dans un Etat tiers, l’Etat requis ne pourrait, en principe, pas se fonder sur le principe non bis in idem pour refuser d’extrader puisque, dans ce cas de figure, l’Etat tiers est étranger à la demande d’extradition.
Pour autant, au regard de l’injustice de juger deux fois la même personne pour les mêmes faits, les juridictions étatiques sont venues éclairer l’application du principe non bis in idem.
L’arrêt de la Cour d’appel de Francfort rendu le 19 mai 2020 étend de manière significative la protection des ressortissants européens.
Dans cette affaire d’extradition, une ressortissante italienne, a été arrêtée par les autorités allemandes, le 3 janvier 2020, conformément à un mandat d’arrêt du Tribunal Fédéral des Etats-Unis d’Amérique en date du 25 mai 2011 pour des faits de commercialisation à l’international d’œuvres d’art contrefaites commis entre juillet 1999 et octobre 2007, dans le district nord de l’Illinois, entrainant une fraude d’un montant de plus de 4 millions de dollars. Les Etats-Unis ont transmis aux autorités allemandes une demande d’extradition de la prévenue.
La Cour d’appel de Francfort a déclaré ladite demande d’extradition comme irrecevable et annulé le mandat d’arrêt émis aux fins d’extradition au motif que l’extradition de la prévenu vers les Etats-Unis serait contraire au principe non bis in idem, principe invoqué par l’Italie, Pays d’origine de la prévenue, en vertu de l’accord entre l’Allemagne et les Etats-Unis en matière d’extradition et de l’article 9 de la Convention européenne d’extradition.
En effet, la prévenue avait déjà été définitivement condamnée, par décision du Tribunal de Milan du 8 janvier 2013, à un an de détention, pour des actes commis exactement selon le même modus operandi que celui décrit dans le mandat d’arrêt du Tribunal Fédéral des Etats-Unis et dans la demande d’extradition, avec la coopération des mêmes complices et au détriment de la même victime.
Pour autant, selon le droit européen et l’accord germano-américain, l’extradition n’est pas accordée, dans les cas où la personne poursuivie a déjà été acquittée ou condamnée, par jugement définitif, par les autorités compétentes de l’Etat requis, pour l’infraction pour laquelle l’extradition est demandée.
Par conséquent, pour l’application de l’Accord entre l’Allemagne et les Etats-Unis ainsi que l’article 9 de la Convention, il faudrait que la prévenue ait été définitivement condamnée par un tribunal allemand, ce qui, en l’espèce, n’est pas le cas.
Néanmoins, la Cour d’appel de Francfort a considéré que « afin de ne pas discriminer, de manière inadmissible, la prévenue, en tant que ressortissante européenne, dans sa liberté de circulation au sein de l’Union européenne […], la Cour d’appel se voit dans l’impossibilité d’extrader la prévenu, puisque son Pays d’origine, l’Italie – Etat membre de l’Union européenne – a explicitement indiqué le principe non bis in idem ».
Au regard de l’interdiction de la double incrimination, l’Italie ayant jugé la prévenue pour les mêmes faits que ceux mentionnés dans le mandat d’arrêt américain, cette condamnation définitive doit avoir la priorité sur l’extradition et la demande d’extradition des Etats-Unis rejetée.
Par cette décision, malgré l’existence d’un Accord entre l’Allemagne, l’Etat requis, et les Etats-Unis, l’Etat requérant, la Cour d’appel a rejeté la demande d’extradition d’une ressortissante italienne, renforçant de manière conséquente la collaboration entre les Etats membres de l’Union européenne.
Cet arrêt confirme que les juridictions étatiques des Etats membres sont liées par les dispositions de l’article 9 de la Convention européenne d’extradition prévoyant un obstacle à l’extradition en faveur de la protection des ressortissants européens.
Par ailleurs, pour comprendre entièrement le raisonnement des juges allemands, il faut également relever que la Cour s’est appuyée sur l’article 18, conjointement avec l’article 21, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») relatif à la liberté de circuler sur le territoire des Etats membres. A ce titre, la Cour cite dans ses motifs, deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »).
Tout d’abord, dans l’arrêt Petruhhin du 6 septembre 2016, la CJUE considère, dans le cadre d’une demande d’extradition émanant d’un Pays tiers, qu’un Etat-membre de l’Union européenne doit donner la priorité à l’échange d’informations avec l’Etat membre, dont la personne poursuivie est ressortissante, afin de donner à ce-dernier la possibilité d’engager des poursuites pénales à l’encontre de son ressortissant au lieu d’accorder l’extradition.
Par conséquent, la protection contre l’extradition, accordée à un ressortissant d’un Etat-membre de l’Union européenne dans son Pays d’origine, doit être assurée vis-à-vis de celui-ci, également dans les autres Etats-membres de l’Union. Ainsi, la libre circulation d’un ressortissant de l’Union européenne n’est restreinte par l’Union elle-même.
Dans l’arrêt Pisciotti du 10 avril 2018, également cité par la Cour de Francfort, la CJUE, a étendu le champ d’application du droit communautaire au cas dans lesquels un accord international sur l’extradition a été conclu entre un Etat-membre de l’Union européenne requis avec un Pays tiers.
En effet, toujours en vertu du droit à la libre circulation des ressortissants européens, si un tel ressortissant fait l’objet d’un demande d’extradition vers les Etats-Unis et est arrêté dans un autre Etat-membre de l’Union, alors l’Etat requis devra d’abord entrer en contact avec l’Etat-membre Pays d’origine de la personne poursuive afin de lui permettre éventuellement d’engager des poursuites pénales à l’encontre de son ressortissant.
La protection des ressortissants des Etats-membres de l’Union européenne et le droit à la libre circulation de ces-derniers l’emportent sur la procédure d’extradition.
En France, les juridictions ne font pas de l’autorité de la chose jugée par un Etat tiers un motif systématique de refus d’extradition.
A titre d’exemple, déjà en 1994, le Conseil d’Etat a décidé, dans une affaire où le décret attaqué accordait, en application de la convention franco-belge du 15 août 1874, l’extradition aux autorités belges d’une personne condamnée en Belgique, que le principe non bis in idem ne trouvait pas application, les faits étant différents de ceux pour lesquels l’intéressé avait été condamné à une peine de prison par une juridiction néerlandaise (CE, 9 mai 1994, n° 141832, Hejli).
Dans une décision plus récente, le Conseil d’Etat a déclaré que « il ressort des pièces du dossier que les faits à raison desquels M. X a été jugé et condamné en Turquie (…) sont distincts de ceux pour lesquels son extradition a été demandée par les autorités italiennes ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par le décret attaqué, des stipulations de l’article 9 de la Convention européenne d’extradition, relatif au principe non bis in idem, doit, en tout état de cause, être écartée » (CE 13 février 2006, n°271035).
Pour autant, il n’est pas impossible d’en conclure que, si les faits avaient été les mêmes, le Conseil aurait considéré que l’application de la règle non bis in idem autorisait la France à rejeter l’extradition.
Par conséquent, en analysant les faits et cherche une éventuelle similarité, il est possible d’affirmer que le Conseil d’Etat accepte également l’application du principe non bis in idem en matière d’extradition.
Pour autant il semblerait qu’il soit nécessaire de rester vigilent à l’application de principe afin d’éviter une application trop générale et trop étendue. En effet, appliquer ce principe en cas de décision définitive de tous Etats tiers pourrait inciter des personnes poursuivies à « chercher » à ce faire condamner de manière définitive dans des Etats tiers et échapper ainsi à toute demande d’extradition à leur encontre.
Par conséquent, l’arrêt de la Cour d’appel de Francfort conforte la jurisprudence européenne de la CJUE mentionnée dans l’arrêt par la Cour en la matière et contribue à la mise en place d’un droit communautaire de l’extradition harmonisé et protecteur envers les ressortissants européens. En s’appuyant sur la jurisprudence européenne, la Cour allemande étend davantage le champ d’application du droit de l’Union européenne dans les cas où l’Etat requis aurait conclu un accord international avec un Pays tiers.
Encore une protection supplémentaire à la libre circulation au sein de l’Union européenne.
Enfin, au regard de la jurisprudence actuelle, l’on peut s’interroger sur l’appréciation, par les juridictions françaises, du principe de non bis in idem dans le cadre de l’affaire Carlos Ghosn, franco-brésilo-libanais, réfugié depuis décembre 2019 au Liban, s’il venait à revenir en France. Dans une telle hypothèse et en cas de jugement définitif par les juges français, une demande d’extradition vers le Japon devrait être irrecevable. Pour autant, reste à savoir si M. Ghosn serait prêt à prendre le risque d’une telle condamnation en France, ce qui semble peu certain.
Se poserait également la question dans le cas où M. Ghosn serait acquitté par jugement définitif par une juridiction étrangère. Dans un tel cas de figure, la France, Pays d’origine, refuserait-elle une demande d’extradition vers le Japon ou se donnerait-elle la possibilité d’entamer également des poursuites pénales à l’encontre de son ressortissant ?
[1] Protocole n° 4 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, article 2, l’article 13 § 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
[2] Ibid., article 3.q
[3] Article 9 de la Convention européenne d’extradition
Article 696-4,4° du Code de procédure pénale
Cass. crim., 13 février 2008, n°07-88.009
[4] Cass. crim., 8 juillet 1997, n°96-86.258